Dès le début de la guerre en Ukraine, l’Europe et la France se sont interrogés sur la résilience du secteur de l’énergie au regard de leur dépendance aux hydrocarbures russes. Le choix du gaz russe s’explique en grande partie par sa compétitivité qui offrait à l’Europe un prix très abordable et une facilité d’approvisionnement.
La guerre en Ukraine a repositionné les enjeux stratégiques de l’énergie au coeur des débats. Ils sont placés sur le devant de la scène suite à la décision de stopper l’approvisionnement du gaz russe dans le cadre des sanctions économiques contre Moscou conjugué à une faiblesse de production nucléaire française. Résultat, au cours de l’été 2021, les européens voient le prix de l’électricité dépasser tous les plafonds imaginables. Les gouvernements préviennent leurs citoyens du risque de délestage en cas de surconsommation. Aujourd’hui, début mars 2023, il n’y a pas de délestage ni de recours abusif au charbon grâce à un hiver particulièrement clément.
Cependant, les particuliers ont subi une inflation particulièrement importante, bien que “contenue” par le bouclier tarifaire mis en place dans certains pays, dont la France. Mais les collectivités n’en n’ont pas bénéficié, du moins dans un premier temps, et ont été particulièrement impactées financièrement.
À l’origine, le marché européen de l’électricité
La question est légitime : pourquoi les français ont été impactés par le prix gaz alors que la majeure partie de la production en France est nucléaire ? La première partie de la réponse est à la fois politique, la stratégie française penchant vers une réduction de la production nucléaire, et conjoncturelle : le parc nucléaire a été limité pour des raisons de maintenance et des soucis de corrosion découverts au cours de l’année. La deuxième partie de la réponse est structurelle et se trouve au niveau européen.
En effet, une partie de l’électricité consommée en France est importée sur le marché européen, mis en place en 1990 pour ouvrir les marchés nationaux à la concurrence. Le prix de l’électricité y est fixé en fonction du coût marginal de production, c’est-à-dire le coût de la dernière unité produite en Europe pour équilibrer l’offre et la demande, et non pas en fonction du coût moyen de production. Il existe plusieurs moyens de production plus ou moins carbonés (fuel, charbon, gaz, nucléaire, éolien, photovoltaïque) et ces moyens sont mobilisés par ordre croissant de leur coût environnemental de production. Les prix de gros sont basés sur le coût de la dernière centrale électrique nécessaire pour répondre à la demande.
Lorsque la demande est élevée, comme à l’été 2021, cette dernière unité est produite par les centrales thermiques qui fonctionnent essentiellement au gaz. Cette ressource ayant vu son prix exploser avec la baisse des livraisons russes, le prix de l’électricité qui lui indexé a lui aussi augmenté de façon exponentielle. En France, il a même atteint le pic des 1 000 euros le MWh, contre une moyenne de 85 euros, à la fin de l’été 2021.
Ce système montre ses lacunes face à la crise, en effet lors d’une crise telle que celle du gaz russe des personnes bénéficiant d’une électricité d’origine éolienne ou nucléaire payeront tout de même le prix de l’électricité émanant d’une centrale au gaz.
Pour limiter ce biais, la Commission Européenne, sous l’impulsion de certains États dont la France, réfléchit à des solutions et à une réforme du système. Pour répondre immédiatement à la crise, l’Europe a fixé les prix du gaz. A plus long terme, certains proposent de découper le marché en deux avec d’un côté les énergies vertes et bas carbone et de l’autre les énergies fossiles. En cas d’activation des énergies fossiles, le prix serait la moyenne des deux et non pas le prix de la centrale produisant la dernière unité.
Une réflexion s’impose également au niveau européen, en effet s’il apparait que la dépendance au gaz russe a pris fin, elle a été en grande partie remplacée par une dépendance au Gaz Naturel Liquéfié (GNL), qui, au-delà du manque d’indépendance dans un secteur aussi critique, présente d’autres inconvénients : impact majeur sur l’environnement pour son extraction et son transport, volatilité des contrats ou encore la nécessité d’investissements majeurs pour les terminaux de regazification.
L’impact de la crise sur les collectivités territoriales
Comme indiqué précédemment, les collectivités n’ont pas pu bénéficier du bouclier tarifaire proposé par le Gouvernement. Elles ont subi de plein fouet la hausse des prix, ainsi, selon “l’Association des Petites Villes de France, les dépenses énergétiques de certaines communes ont bondi de 50%”. Pour l’Association des Maires de France, ces hausses varient de 30% à 300%. Avant la guerre, les finances locales étaient déjà sous tension du fait des crises économiques, du Covid ou encore des mesures gouvernementales qui ont limité les recettes des collectivités. L’inflation est donc un bouleversement pour ces finances et entraine des choix de la part des décideurs politiques : fermetures de certains établissements (comme les piscines municipales), augmentation des impôts locaux, reports d’investissements prévus ou réorientation des budgets (baisse ou arrêt des subventions aux associations).
Face à cette crise, le Gouvernement a pris une série de mesures appliquées depuis le 1er janvier 2023 :
- Baisse de la part d’accise sur l’électricité (impôts)
- Bouclier tarifaire pour les petites collectivités (moins de 10 employés et moins de 2 millions d’euros de recettes) limitant la hausse à 15%
- Amortisseur d’électricité pour les collectivités non éligible : l’État prend en charge une partie de la facture lorsque le prix dépasse un certain seuil
- Filet de sécurité pour les communes, sous conditions financières : une compensation égale à 50% de la différence entre la hausse des dépenses d’énergie et 60% de la hausse des recettes réelles de fonctionnement
- Charte des fournisseurs : oblige les fournisseurs à proposer au moins une offre tout client qui en ferait la demande
- Référence de prix : la Commission de Régulation de l’Énergie publie les niveaux de prix de référence pour aider les collectivités dans leur choix de contrat
Plus d’informations sont disponibles ici.
Au-delà des mesures prises par le Gouvernement les collectivités peuvent, afin d’anticiper les futures crises, trouver des solutions alternatives afin de limiter l’impact des variations de prix. La première solution, peu coûteuse et pouvant être mise en place à court terme, réside dans les plans de sobriété énergétique. Un certain nombre d’actions, les “petits gestes du quotidien” peuvent être promus pour limiter la consommation. L’Agence de la Transition Écologique (ADEME) a mis en avant 8 gestes pour faire des économies d’énergies :
- Adapter la température du chauffage des bâtiments en fonction de l’activité et de l’occupation
- Maintenance des équipements thermiques
- Réduction des dépenses d’eau chaude
- Adopter des éclairages moins énergivores (LED ou lampes basse consommation) et sensibiliser à l’extinction
- Réduire ou éteindre l’éclairage public sur les heures creuses
- Sensibiliser à la sobriété numérique (arrêter les appareils, ne pas stocker trop de données, trouver des systèmes de refroidissements passifs, etc.)
- Sensibilisation de la population
- Montrer l’exemple
Retrouvez l’ensemble de ces mesures ici.
D’autres solutions représentent des investissements et nécessitent de fait une analyse d’impact et de rentabilité. La première option est de travailler sur la rénovation énergétique des bâtiments publics et d’investir dans des panneaux solaires sur ces bâtiments. En limitant la perte d’énergie et en créant une nouvelle source de revenu, la collectivité crée un cercle vertueux. La deuxième option réside dans des alimentations “annexes” telles que les réseaux de chaleurs alimentés au bois ou grâce au biogaz de méthaniseur.
Enfin, à l’ocasion de son dernier rapport, la Commission de Régulation de l’Énergie invite les collectivités à revoir leurs contrats avec les fournisseurs d’électricité. En effet, par nature les contrats des collectivités sont flexibles. Cette flexibilité entraîne un surcoût, il est donc conseillé aux collectivités de “requérir uniquement des dispositions de flexibilité leur étant absolument indispensables”.
Les récentes crises ont rappelé que l’énergie est centrale et n’est pas un bien acquis comme les années de paix ont pu le laisser entendre. Il est indispensable que chaque acteur prenne les mesures nécessaires pour anticiper et essayer de limiter au maximum l’impact des futures crises. De plus si l’hiver 2022-2023 a été doux, limitant les problématiques d’approvisionnement, l’hiver 2023-2024 risque de représenter un défi pour l’ensemble des acteurs économiques.
Clément KAROUBI
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