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Pour n’importe quel acteur sensibilisé aux problématiques de gestion de crise, la perspective d’une crue n’est jamais considérée comme un événement bénin, encore moins lorsqu’il s’agit de celle d’un fleuve qui traverse la capitale. Car même s’il s’agit d’une dynamique « lente », c’est à dire caractérisée par une montée progressive et prévisible des niveaux, les conséquences associées peuvent être particulièrement délétères pour les infrastructures, à défaut d’être fondamentalement dangereuses pour les vies humaines sous réserve de faire preuve d’un minimum de bon sens. 

A l’approche des Jeux olympiques 2024, l’inquiétude relative à la question d’une potentielle crue de la Seine apparaît légitime, sachant que la région parisienne pourrait doubler sa population à l’occasion de l’événement, et que 3 épreuves sur les 25 programmées en Île-de-France se tiendront au sein du périmètre de la crue de référence. De plus, cette préoccupation n’est pas infondée dans la mesure où l’histoire a déjà fait cas d’événements estivaux intenses, dont les plus marquants ont été enregistrés entre le 11 et le 14 juillet 1615 (élément incertain avec des sources historiques diverses, donnant à la baisse 8,84m au pont de la Tournelle, ce qui représenterait une hausse de 40 cm par rapport à la référence actuelle de janvier 1910), mais également entre fin juin et début juillet 1910, avec une série de petites crues engendrées par celle de la Marne (Episeine). 

Toutefois, dans un contexte contemporain davantage marqué par l’intensification des chaleurs et des sécheresses, la probabilité d’observer une crue significative entre fin juillet et août, dates des Jeux olympiques, apparaît malgré tout comme faible.

Mais qu’en est-il du reste de l’année ? La probabilité d’observer une crue importante sur ce fleuve n’est, vous l’aurez compris, pas nulle bien au contraire. Et les conséquences associées peuvent alors se révéler particulièrement sensibles.

En termes de référence, l’événement centennal de janvier 1910 demeure sans aucun doute le plus marquant de l’histoire récente ayant pu être observé, mesuré et documenté, que ce soit en termes de hauteurs atteintes, de superficies inondées (720 hectares dans la capitale), d’impacts matériels & économiques ou encore de durée avec près de 45 jours comprenant la montée des eaux et la décrue (Episeine). 

Aujourd’hui, sous l’effet des bassins de stockage construits en amont pour réguler les débits, dont la capacité globale est estimée autour de 850 millions de m3, une « légère » baisse pourrait être enregistrée en cas de nouvelle crue centennale, en considérant les 3 à 4 milliards de m3 excédentaires ayant transité sur Paris en janvier 1910 (Brun & Gache, 2021).

Plus récemment, au printemps 2016 ainsi qu’en janvier 2018, de nouvelles crues majeures ont impacté la capitale après une longue période de calme, rappelant aux populations l’importance de ce risque… en théorie tout du moins. En effet, une étude menée par l’Institut Paris Région six mois après le phénomène de 2018 au sein d’un échantillon représentatif de la population d’Ile de France, nous apporte des précisions intéressantes sur la manière dont ces phénomènes sont perçus, et par extension, sur le degré de culture du risque présent au sein de cette dernière.

On y apprend notamment que plus d’un million de résidents d’Île-de-France sont concernés par le risque d’une crue, en provenance de la Seine ou de ses principaux affluents. Ce nombre s’élève à 5 millions si l’on considère également les impacts indirects, en considérant que dans le cas d’une nouvelle crue centennale (type 1910), le cœur de l’agglomération pourrait être recouvert plusieurs jours voire semaines par des hauteurs atteignant près de 2 mètres. Pour autant, lors des événements de 2016, 4% des personnes ayant reçu une consigne d’évacuation l’ont refusée (soit 1 personne sur 25, ou 750 sur 18000), un nombre porté à 11% (300 sur 2500) dans le cas de l’événement survenu en 2018 (Faytre & Rufat, 2024). 

De manière générale, les motivations derrière un refus d’évacuer peuvent être multiples, surtout en cas d’évacuation longue : peur de perdre un bien sentimentalement précieux, attachement fort au lieu, crainte des vols ou pillages… toutefois, dans le cas présent, l’enquête met en avant que 48% des répondants habitant en zone inondable déclarent à l’inverse habiter en zone épargnée, tandis que 58% des individus vivant en zone indirectement concernée ignorent leur exposition aux effets indirects (sur les réseaux d’eau, d’énergie et de transport notamment). Cela témoigne d’une forte méconnaissance du risque, avec potentiellement une sorte de défiance vis-à-vis des consignes d’évacuation, en lien avec ces convictions. Et ce n’est pas tout, puisque 20% seulement de ces mêmes personnes estiment possible qu’une inondation dure plus d’une semaine, 13% qu’il est très facile de les prévoir, et 10% qu’il est très facile de les maîtriser alors que les inondations de ce type peuvent durer plusieurs semaines et sont certes prévisibles, mais seulement 2 à 3 jours en amont. En revanche, il est catégoriquement impossible de les maîtriser en totalité, surtout lorsque de tels niveaux surviennent. 

Par ailleurs, 19% des individus sondés estiment que les effets associés ne sont pas graves, contre 7% qui considèrent l’inverse, à savoir la possibilité d’obtenir des conséquences très graves. Au niveau de la perception du risque, l’étude suggère néanmoins l’idée que les personnes déjà exposées dans le passé soient plus à même de considérer le risque de récurrence des inondations comme étant important, en opposition aux personnes non exposées, même bien informées. 

Sur le plan des impacts indirects enfin, moins d’un tiers des personnes enquêtées ont conscience de l’impossibilité de vivre plusieurs jours dans un bâtiment sans pouvoir utiliser les sanitaires (en cas de refoulements d’égout ou de rupture des canalisations par exemple), tandis que 6% de l’échantillon assumerait de descendre dans une cave ou un parking, y compris en cas d’alerte où de présence d’eau (Faytre & Rufat, 2024). 

Pourtant, une crue centennale de la Seine (similaire à 1910) donnerait lieu à des conséquences bien plus graves aujourd’hui du fait de l’urbanisation et de l’augmentation des enjeux. 4 à 5 millions de personnes pourraient ainsi être concernées indirectement via la mise en défaut des réseaux souterrains avant même que l’eau n’arrive en surface, tandis que des communes comme Alfortville ou Gennevilliers pourraient être inondées durant plus d’un mois à 80%, avec des hauteurs proches de 2 mètres ponctuellement. L’activité touristique pourrait également subir d’importantes pertes, alors que les principaux musées (Louvre et Orsay) seraient contraints d’évacuer leurs collections pour les protéger de la montée des eaux (Brun & Gache, 2021). 

Les missions de sensibilisation rattachées à ce risque sont donc nombreuses à l’initiative de la Préfecture de Police, en partenariat avec des associations comme Assurance Prévention notamment, et s’adressent essentiellement aux publics scolaires sous la forme d’ateliers pédagogiques, sans pour autant s’y restreindre (projet Plouf75). En parallèle, le site de la Préfecture de Police diffuse également des consignes à l’attention des entreprises et habitants, tandis que la Ville mène depuis plusieurs années des politiques d’acquisition-démolition d’habitats vulnérables en vue de protéger les populations, et cherche en parallèle à développer des solutions d’atténuation fondées sur la nature, comme la restauration de la plaine inondable de l’Yerres, à la confluence avec la Seine (Brun & Gache, 2021).

En définitive, les résultats de cette enquête qui demeurent consultables dans leur intégralité sur le site de l’Institut Paris Région, viennent souligner l’importance de maintenir une démarche active de sensibilisation des populations et de formation des élus sur le risque et la gestion de ce type de crise, en ciblant préférentiellement les publics jeunes, fragiles ou nouvellement installés dans la région pour limiter leur vulnérabilité et augmenter leur résilience en vue du prochain événement majeur.

Maxime THOREL

Références :

BRUN A, GACHE F, (2021) — Les inondations dans le bassin amont de la Seine, causes et conséquences à l’échelle de l’agglomération parisienne — Disponible en ligne à cette adresse

EpiSeine — Crue de la Seine de juillet 1615  — Disponible en ligne à cette adresse.

EpiSeine — Crue de la Seine de janvier 1910  — Disponible en ligne à cette adresse.

EpiSeine — Crue de la Seine de juillet 1910  — Disponible en ligne à cette adresse.

FAYTRE L, RUFAT S, (2024) — Inondation et évacuation : enquête sur les perceptions et comportements des Franciliens — Chronique des crues et inondations en Île-de-France, n° 2, disponible en ligne à cette adresse.