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Alors que le mois de mars a enregistré une température de 0.73°C au-dessus des moyennes saisonnières établies entre 1991 et 2020 au niveau mondial, et 1.6°C au niveau français sur la même référence climatologique, le mois d’avril semble d’ores et déjà suivre une tendance similaire. Dans le même temps, le manque d’eau continue de se faire sentir, essentiellement au niveau des départements du Languedoc et du Roussillon (Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault) selon le site gouvernemental VigiEau (anciennement Propluvia). 

En effet, ces départements enregistrent d’ores et déjà des niveaux de crise généralisés, toute provenance confondue (eaux de surface ou nappes) excepté pour l’Hérault sur lequel le niveau maximal au 2 mai s’établit à un seuil d’alerte renforcée. Ailleurs en France, l’Ain mais également la Martinique et l’île de Marie-Galante pour les Outre-Mer présentent eux aussi des niveaux d’alerte renforcée et de crise, tandis que les autres départements restent (pour l’heure) épargnés par les sécheresses et les restrictions associées.

Concernant le reste du pourtour méditerranéen, la succession d’épisodes pluvio-orageux enregistrée entre début mars et début/fin avril a contribué à repousser la menace du manque d’eau, avec un cumul bimensuel (de fin février à fin avril) établi à 500 – 750 mm au niveau des reliefs de l’Ardèche et du Gard essentiellement, contre 200 – 400 mm environ sur les littoraux et plaines languedociennes, selon la lame d’eau radar cumulée de Météo-France. En Provence, les plaines enregistrent 250 à 350mm, voire jusqu’à 600mm dans les vallées des Alpes Maritimes. 

Mais avec des tendances saisonnières (modélisation CFS du 02/05) penchant en faveur d’une poursuite de conditions favorables à l’occurrence de vagues de chaleur durant l’été, et impliquant de fait une probabilité accrue de sécheresse, la question de la gestion des eaux s’impose comme une priorité pour l’ensemble du territoire, surtout pour les départements déjà fortement impactés avant le début de cette période sensible. Car outre les besoins habituels de la population locale et de l’agriculture, la forte pression touristique pesant sur ces territoires, qui constitue une part importante des revenus locaux, vient ajouter une contrainte supplémentaire dans la gestion et le partage de la ressource. 

Comment parvenir, dans ces conditions, à garantir un accès pérenne à l’eau durant la saison estivale en approche et plus largement dans les années à venir ? Pour apporter des éléments de réponse à cette question de résilience hydraulique, penchons-nous sur les actions menées par nos voisins espagnols, victimes d’une situation similaire et plus précisément au niveau de la ville catalane de Lloret de Mar. 

Cette dernière, d’une superficie de 48,7 km2 pour 37 350 habitants en 2018, accueille en moyenne près d’un million de voyageurs par an, avec près de 120 établissements hôteliers, faisant de cette municipalité une des principales destinations touristiques d’Europe. Cette pression touristique, colossale mais nécessaire pour le développement économique de la région, s’accompagne d’effets délétères sur la consommation d’eau, avec l’avancée de la sécheresse d’année en année à tel point que l’état d’urgence a dû être déclenché, en phase 1, sur 201 communes de Catalogne au 1er février dernier. Cet état d’urgence impose des restrictions à l’emploi de l’eau, dont l’utilisation maximale de 200 litres par personne et par jour ou encore l’interdiction de recharger les piscines

Alors, comment la région se prépare-t-elle à accueillir les touristes dans ces conditions ? C’est précisément sur ce point que la ville de Lloret de Mar a été stratégique dans son plan de résilience, en analysant la situation à long terme et dans sa globalité. Les hôteliers ont ainsi effectué les démarches nécessaires pour acquérir une usine mobile de dessalement des eaux de mer, d’une capacité nominale de 50m3/h, pour injecter cette production vers les piscines des différents centres de la ville, que ce soit dans le cadre d’une mise en eau ou d’une remise à niveau. Dans le même temps, des discussions restent ouvertes avec l’Agence Catalane de l’Eau pour autoriser une injection du surplus produit sur le réseau, afin d’en faire bénéficier les habitants. Ici, la volonté d’acheter la centrale n’est pas un hasard, et vient apporter une garantie de pérennité à ce système pour les années à venir, alors même que les besoins en constante augmentation auraient pu intensifier la concurrence sur l’emploi de la machine s’ils avaient fait le choix, plus abordable financièrement mais plus risqué, d’en être de simples locataires.

Toutefois, est-il envisageable d’appliquer un système similaire à la France, en particulier sur les départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales qui continuent de subir la sécheresse ? Théoriquement, oui. Un prototype alimenté par énergie solaire a été testé en avril 2023, capable de produire 11 m3 à la journée dans la ville de Port-Vendres (Pyrénées-Orientales), initialement à destination des bateaux mais finalement utilisé par les viticulteurs et la mairie pour le lavage des voiries. Mais le déploiement à grande échelle de cette technologie pourrait occasionner des problèmes environnementaux, en raison de la charge d’eau fortement salée (saumure) rejetée par ces stations dans la mer et pouvant nuire aux écosystèmes, en plus de l’impact énergétique dans le cas d’une usine non raccordée à une source renouvelable

D’autres solutions, comme la réutilisation massive des eaux usées pour l’irrigation ou encore la prolongation du réseau Aqua Domitia dans les Pyrénées-Orientales au cours des dix prochaines années (réseau construit en 2008 et permettant d’acheminer l’eau du Rhône du Gard jusqu’à l’Aude), existent ou pourraient voir le jour, mais pour l’heure, face à l’urgence imposée par ce déficit hydrique très important, un emploi intelligent et raisonné à l’échelle individuelle ainsi que la restriction pure et simple de la ressource aux seuls usages essentiels dans les départements du Roussillon semblent être les seules options viables pour garantir un accès minimum à tous les consommateurs

 

Maxime THOREL

 

Références :

France Bleu, 2024 — Climat : nouveau record de température en mars 2024, dixième mois d’affilée de chaleurs historiques. Article disponible en ligne à cette adresse.

Météo France, 2024 — Bilan climatique de mars 2024 : un mois marqué par des précipitations très abondantes. Article disponible en ligne à cette adresse.

Informations démographiques et statistiques produites par la ville de Lloret de Mar. Disponible en ligne à cette adresse.

France Info, 2024 — Sécheresse. Pour remplir leurs piscines, ces hôtels achètent une usine pour dessaler l’eau de mer. Article disponible en ligne à cette adresse.

Actu Perpignan, 2023 — Sécheresse. Près de Perpignan, cet étrange container peut rendre l’eau de mer potable. Article disponible en ligne à cette adresse.

La Région Occitanie, 2024 — L’extension d’Aqua Domitia pour faire barrage à la sécheresse. Article disponible en ligne à cette adresse.