Août 2003, juillet 2006, août 2018, juin/juillet 2019, août 2020, été 2022, août 2023. Depuis maintenant près d’une dizaine d’années, les phénomènes caniculaires intenses se succèdent sur notre pays comme partout dans le monde sous l’influence du changement climatique, tandis que leur intensité augmente. Les records de température sont battus, la barre des 40°C, auparavant observée de manière ponctuelle, est maintenant dépassée chaque été sur de larges superficies. Aujourd’hui, le sentiment de vacances et de bons moments estivaux induit par l’évocation de la chaleur a progressivement fait place à de la crainte, de l’inquiétude, voire de la peur. Elle inquiète, du particulier âgé dont l’habitat est mal isolé jusqu’aux services de sécurité civile sur le front des incendies, en passant par le monde agricole et les services hospitaliers. Elle tue, comme l’épisode exceptionnel de 2003 l’a brutalement montré.
D’un point de vue météorologique, la canicule est un phénomène scélérat car elle n’est pas observable à l’œil nu, elle n’occasionne pas directement de perturbations dans le quotidien et elle n’est pas ressentie de manière équivalente d’un individu à l’autre, à l’inverse de tous les autres phénomènes surveillés par la vigilance météorologique qui demeurent observables, et rendent le diagnostic de danger théoriquement plus simple pour le grand public. La tentation de s’y exposer est alors plus grande, dans un contexte où les vigilances se multiplient avec un niveau maximal (rouge) activé de plus en plus souvent et conduisant à une baisse d’attention au sein des populations (Figure 1).
L’objet de cet article sera de revenir sur les méthodes employées pour mesurer une température, les indices permettant d’apprécier le danger d’une situation de forte chaleur ainsi que les principaux risques engendrés par le phénomène au niveau de la santé des individus ou de l’environnement, pour terminer sur des solutions simples permettant de se protéger. Que ce soit dans un domaine privé, professionnel ou encore municipal, connaître ces informations est important pour se prémunir des fausses informations liées aux erreurs courantes de relevés (et ne pas en créer), avoir les arguments nécessaires à la construction d’un discours de prévention efficace ainsi que pour mieux cerner les dangers concrets associés à ces événements, afin de tendre vers une forme de résilience dans un contexte d’intensification du risque.
La canicule est définie par Météo-France comme étant « un épisode de températures élevées, de jour comme de nuit, sur une période prolongée (au moins 3 jours) » (Météo-France, 2023). Elle correspond, dans notre pays, à des seuils de températures maximales et minimales variables selon les départements et calculés sur des stations de référence, qui servent notamment à décider du niveau de vigilance à déclencher.
La mesure professionnelle de la température ne peut être réalisée avec un thermomètre domestique, même de très bonne qualité. Les appareils utilisés pour cela sont spécifiquement élaborés de manière à posséder une marge d’erreur la plus réduite possible, et répondent à des normes précises. Ils sont placés dans des abris, sur des espaces exempts d’obstacles, à une hauteur donnée ainsi que, lorsque cela est possible, dans une zone au sol naturel pour limiter les artefacts liés aux rayonnements infrarouges des bétons, goudrons, ou autres matériaux artificiels. L’objectif est de mesurer la température de l’air, et uniquement de l’air bien que dans certaines situations toutes ces conditions ne puissent être remplies, altérant légèrement la pertinence du résultat et expliquant que des records de température soient rejetés ou mis en doute selon la classe de la station considérée.
Les relevés « non professionnels » que l’on observe sur les réseaux sociaux, les pharmacies ou les voitures sont donc systématiquement faux, parfois de plusieurs degrés car ils mesurent la température du support, du boîtier plastique de la sonde, ou pire du rayonnement solaire direct… tout sauf l’air, en somme.
La température seule n’est cependant pas l’unique variable à considérer pour analyser le danger représenté par une situation caniculaire, l’humidité relative a également un rôle crucial à jouer. Elle correspond au pourcentage de vapeur d’eau qu’une masse d’air peut contenir à un instant donné, dans des conditions de pression et de température données. Un air plus chaud pourra stocker davantage de vapeur d’eau qu’un air plus froid (ce qui explique la formation de nuages lorsqu’une masse d’air chaud s’élève, se détend et refroidit, obligeant la vapeur excédentaire à se condenser).
Dans un contexte caniculaire, l’humidité relative va donner un indice sur la capacité d’évaporation dont dispose l’air ambiant, et donc sur le ressenti à la chaleur. Si l’air est très chaud mais que le taux d’humidité relative est bas, l’évaporation sera possible et le corps pourra refroidir par évapotranspiration. Le ressenti sera donc supportable mais il conviendra de maintenir une hydratation correcte. En revanche, un air très chaud mais saturé ne sera pas en mesure d’absorber autant de vapeur et l’évaporation ralentira jusqu’à cesser, si le taux de 100% d’humidité relative est atteint. Dans ces conditions, le corps ne pourra plus refroidir de manière optimale ce qui engendrera, outre un ressenti particulièrement désagréable, une probabilité accrue d’urgence médicale absolue sur la durée ou en réponse à un effort intense : coup de chaleur (hyperthermie) avec possibilité de troubles neurologiques dont convulsions, coma et en l’absence de prise en charge adéquate rapide, une possibilité de décès (Tanen, 2023).
La corrélation chaleur/humidité relative est réunie sous la forme d’un indice, l’indice Humidex qui permet d’estimer les conditions dans lesquelles il y a danger ou non. Développé au Canada en 1979 par l’actuel Service Météorologique du Canada, il ne s’agit pas d’une température mais d’une valeur sans unité exprimant un ressenti, même si la mention « équivalent °C » reste communément employée pour la désigner (Figure 2).
Le propre d’une canicule, et l’une de ses composantes dangereuses en plus de l’humidité, est également l’absence de retombée significative des valeurs en cours de nuit, un phénomène particulièrement marqué dans les grands centres urbains et connu sous le nom d’îlot de chaleur urbain (ICU). Les ICU sont provoqués par le rayonnement infrarouge des matériaux minéraux (béton, goudrons) absorbant la chaleur émise la journée mais aussi de leur albédo (capacité à réfléchir la lumière), des activités humaines (moteurs, usines), du rejet des systèmes de climatisation, de l’absence d’ombrages naturels et de surfaces transpirantes (arbres, pelouses) ou encore du facteur de vue du ciel (pourcentage de voûte céleste visible par l’observateur au sol, permettant d’apprécier la quantité d’obstacles s’opposant à la dissipation thermique). Une chaleur nocturne trop élevée, persistant trop longtemps empêche le repos optimal, contribue à épuiser l’organisme, et favorise de fait la vulnérabilité sur la durée.
Dans ces conditions, il est aisé de comprendre que tout ce qui peut interférer avec l’hydratation ou la thermorégulation du corps constitue un phénomène aggravant, et doit être connu pour limiter le risque d’accidents. Les médicaments diurétiques ou laxatifs constituent ainsi un risque et nécessitent de prendre des précautions quant à la réhydratation, en particulier chez les sujets âgés, très jeunes ou malades. D’autres classes médicamenteuses susceptibles d’être employées régulièrement et indépendamment de la tranche d’âge, comme les antiépileptiques à base de sels de lithium peuvent être affectées dans leur fonctionnement par la déshydratation, tandis que les antipsychotiques, antidépresseurs et vasoconstricteurs peuvent interférer avec la perte calorique. Il en est de même pour les médicaments visant à limiter l’augmentation du débit cardiaque (ANSM, 2023). Cette liste n’est bien entendu pas exhaustive, et les efforts physiques menés dans le cadre d’une activité sportive ou d’un travail épuisant mené aux heures les plus chaudes (entre 13h et 18h) constituent également des facteurs de risque importants et fréquents.
En dehors des risques sanitaires directs, les vagues caniculaires représentent également un danger pour l’environnement et la société au travers de deux phénomènes indirects, que sont les incendies de végétation et la pollution à l’ozone.
En reprenant l’exemple de l’humidité relative comme facteur déterminant dans la capacité d’un corps à refroidir par évapotranspiration, on admet qu’une masse d’air sec possède une grande capacité d’évaporation. De fait, les végétaux se déshydratent plus vite, et l’on considère le risque d’incendie comme particulièrement haut lorsqu’une température atteint ou dépasse 30°C, dans une masse d’air comportant 30% ou moins d’humidité relative, avec un vent à partir de 30 km/h. Ces conditions sont optimales pour l’éclosion du foyer, sa propagation rapide induite par la sécheresse des végétaux et l’apport d’oxygène par le vent qui attise.
Quant à l’ozone, il s’agit d’un gaz ayant des effets néfastes sur la santé humaine au niveau du système respiratoire notamment, ainsi que sur certains types de végétaux dont le blé (perte de rendement) (Climate Adapt, 2023). Il est produit à partir des composés organiques volatils et des oxydes d’azote générés en grande partie par les activités humaines, dont le transport, l’industrie puis dans une moindre mesure l’agriculture et le secteur résidentiel sous l’effet du rayonnement solaire et des températures élevées. Il se propage sur de longues distances, puisque la réaction qui aboutit à sa formation prend du temps, expliquant que l’on retrouve souvent les quantités les plus importantes en-dehors des sites produisant les précurseurs, généralement aux heures les plus chaudes de la journée (INERIS, 2024 ; Climate Adapt, 2023).
Cela étant dit, l’été 2024 démarre et dans le contexte olympique actuel, les problématiques de santé publique liées à la chaleur pourraient être exacerbées en cas d’épisode caniculaire survenant en amont ou pendant les épreuves. Néanmoins, et de manière générale, s’en protéger reste un geste à la portée de tous et passe par l’application de méthodes simples comme la fermeture des volets et des fenêtres dans l’après-midi pour créer de l’ombre et conserver la fraîcheur associée, la ventilation des locaux en cours de nuit, ou encore (et ce, sans rentrer dans des considérations architecturales ou de rendement énergétique avancées) l’utilisation des climatiseurs à des températures cohérentes vis-à-vis de l’extérieur, lorsqu’ils existent et que les premières méthodes se révèlent trop légères (présence de personnes vulnérables ou d’un groupe important réuni dans une même pièce par exemple).
Bien entendu, la sécurité passe également par le maintien d’une bonne hydratation, et d’un contact régulier avec les individus vulnérables de l’entourage pour s’assurer de leur état de santé.
Enfin, certaines mesures comme la restriction de circulation automobile dans les grandes villes, l’abaissement de la vitesse sur autoroute, la fermeture de massifs forestiers prises quelquefois durant ces périodes ou encore les obligations légales de débroussaillement (OLD, rendues obligatoires dans certains départements à proximité de massifs à risque) ont pour but de lutter contre la production d’ozone troposphérique ou le déclenchement des incendies de forêts et doivent être respectées pour cela.
NOTE : Les manifestations associées au coup de chaleur peuvent être confondues avec celles de l’épuisement par la chaleur, or il s’agit d’une urgence absolue. En période caniculaire, les symptômes suivants : nausées, vertiges, fatigue soudaine, maux de tête, etc. ne doivent pas être négligés. En cas de coup de chaleur, ils peuvent évoluer vers une fièvre égale ou supérieure à 40°C, de la confusion, des convulsions voire une perte de connaissance.
Les médicaments de type paracétamol ou aspirine sont alors inefficaces, voire contre-productifs et ne doivent pas être administrés.
Contactez les services d’urgence (15, 18, 112) pour un diagnostic précis et une prise en charge adéquate, quel que soit l’âge ou la condition physique de la victime dès l’apparition des premiers symptômes.
Concernant les incendies de forêt, des ressources sont accessibles ici pour se protéger en toutes circonstances.
Maxime THOREL
Références
ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé) (2023) — Médicaments susceptibles d’altérer l’adaptation de l’organisme à la chaleur — Disponible en ligne à l’adresse suivante.
Climate Adapt (2023) — Effets de l’ozone troposphérique sur la santé humaine dans le contexte du changement climatique — European Climate and Health Observatory, disponible en ligne à l’adresse suivante.
INERIS (Institut National de l’Environnement industriel et des Risques) (2024) — Qu’est-ce que l’ozone ? — Disponible en ligne à l’adresse suivante.
Météo-France (2023) — Canicule, pic ou vague de chaleur ? — Disponible en ligne à l’adresse suivante.
Tanen D. (2023) — Coup de chaleur — Manuel MSD, disponible en ligne à l’adresse suivante.
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