Source : Hugo ROBERT – AEF Info – Dépêche n°671643 – le 21/04/2022 – Lien

Le département du Val-d’Oise travaille sur un projet de centre de visionnage en temps réel des caméras de vidéosurveillance du département et des communes volontaires. Destiné prioritairement aux communes rurales et périurbaines qui n’ont pas les moyens de se doter d’un CSU, ce type de structure à l’échelle départementale, piloté par un syndicat mixte, vise à encourager le déploiement de la vidéosurveillance. L’article 42 de la loi « sécurité globale » du 25 mai 2021 a donné le cadre légal à son développement. Dominique Legrand, président de l’AN2V, mène d’ores et campagne pour convaincre les élus locaux d’y adhérer. Dans le reste de la France, l’idée de ces centres commence à se propager, particulièrement en Île-de-France.

« Les départements ont un rôle à jouer dans le déploiement de la vidéoprotection. » Devant l’Assemblée des départements de France, le 3 décembre 2021, le Premier ministre, Jean Castex, avait exhorté les élus à mettre en place des centres de supervision des images départementaux (lire sur AEF info). Du côté du Val-d’Oise, le message a bien été reçu. Le département planche sur la création d’un tel centre, qui sera piloté par le syndicat mixte Val-d’Oise numérique.

Ce type de projet a été facilité depuis que la loi « pour une sécurité globale préservant les libertés » a fixé un cadre légal permettant aux syndicats mixtes à l’échelle départementale de mutualiser le visionnage en temps réel des caméras de vidéosurveillance des communes volontaires (lire sur AEF info).

Dans le Val-d’Oise, territoire partagé entre de grandes aires urbaines et larges zones rurales, l’idée commence à séduire les petites communes périurbaines. Une vingtaine de collectivités ont d’ores et déjà manifesté leur intérêt. Le futur centre devrait voir le jour d’ici juillet 2023 et permettra dans un premier temps le visionnage des flux d’une centaine de caméras aux abords de 40 sites appartenant au département.

COMBLER « LES TROUS DANS LA RAQUETTE »

Dans les locaux du syndicat mixte Val-d’Oise numérique à Ecouen, créé quelques années plus tôt pour déployer la fibre optique sur le territoire, l’AN2V organisait au début du mois d’avril 2022 une matinée d’échanges pour encourager les communes de rejoindre le futur centre. Dans l’assemblée, des élus locaux du Vexin français, des représentants de communes urbaines ou encore des policiers municipaux, tous venus écouter la présentation de Dominique Legrand, président et fondateur de l’association de promotion de la vidéosurveillance, et de Rachid Adda, directeur du syndicat mixte.

« Le syndicat mixte met à disposition des communes un tiers lieu de visionnage et des moyens humaines mutualisés », expose Rachid Adda. Sont visées particulièrement les communes les plus petites qui n’ont pas les moyens de se doter d’un CSU. Il précise en outre que les maires auront autorité sur l’opérateur en charge du visionnage des images transmises au centre, même si c’est un agent départemental.

L’ambition de ce projet est d’éviter « les trous dans la raquette dans le continuum de sécurité », en particulier sur le suivi des déplacements des délinquants d’une commune à l’autre. Il s’agit également de lutter contre le phénomène des « caméras passives » dont les images ne sont pas visualisées et ne sont exploitables que sur réquisition des services de police et de gendarmerie. Avec le centre départemental, les forces de l’ordre et le maire pourront être alertés en cas d’incident en temps réel.

RENFORCER LA VIDÉOSURVEILLANCE

Par ailleurs, « l’idée d’un partage des coûts avec le département peut rendre le projet de vidéoprotection pertinent pour des communes qui n’ont jamais eu de projet vidéo ou alors des projets peu aboutis », poursuit Rachid Adda. C’est cet argument qui a convaincu Sébastien Poniatowski, maire de L’Isle-Adam, une commune de 12 000 habitants, et président de la communauté de communes Vallée de l’Oise et des Trois Forêts, de se rapprocher de Val-d’Oise numérique.

Dans les neuf communes de l’intercommunalité, 250 caméras ont été installées il y a cinq ans pour un investissement de 5 millions d’euros. Seules deux villes dont L’Isle-Adam se sont dotées d’un CSU. « Le plus cher ce n’est pas l’aspect technique mais la masse salariale derrière les écrans », constate Sébastien Poniatowski (lire sur AEF info), qui chiffre à 140 000 euros par an le coût de personnel pour un visionnage huit heures par jour par deux policiers municipaux.

Pour le président et fondateur de l’AN2V, Dominique Legrand, le nombre de communes potentiellement intéressées est immense. « Juridiquement parlant, les vannes ont été ouvertes, il y a un appel d’air », constate-t-il. Dans son viseur, les quelque 35 000 communes de moins de 10 000 habitants en France. « Le département est la vraie bonne échelle du rural, celle qui a une vraie relation avec les élus », argue-t-il, convaincu que ce type de structure peut inciter les petites communes rurales et périurbaines à renforcer leur parc de caméras ou à s’en doter.

LES ATOUTS DE L’IA

Pour les convaincre, le président de l’AN2V mise sur l’intelligence artificielle toujours plus sophistiquée, soit directement embarquée dans les caméras, soit dans le traitement des images au CSU (lire sur AEF info). Au cours de la matinée d’échanges dans le Val-d’Oise, les représentants des start-up XXII (lire sur AEF info), Two-I et Wintics ont présenté leurs solutions aux élus. Vidéoverbalisation à la carte, suivi d’une personne selon ses vêtements, détection de regroupements, focus devant les gares ou les hôpitaux… Les industriels avancent jusqu’à 164 usages possibles que les collectivités peuvent choisir.

Autre avantage avancé : grâce à l’optimisation et la coordination d’un réseau de caméras, il y aura besoin de moins d’opérateurs et ils ne seront plus obligés de scruter un nombre important d’écrans, mais recevront des alertes signalées par l’IA, classées par ordre d’importance. Par exemple, « si l’opérateur voit un coup de couteau, il hiérarchise le risque, clique sur l’onglet situation grave et envoie l’image au CORG côté gendarmerie ou CIC côté police », illustre Dominique Legrand.

L’intelligence artificielle permettrait en outre d’élargir la base des bénéficiaires du futur centre de supervision. « Des intercommunalités plutôt urbaines sont intéressées par du service supplémentaire, comme un volet formation des opérateurs ou de l’analyse IA », avance Rachid Adda (lire sur AEF info). Les possibilités d’archiver les images au niveau départemental, en cas d’incident sur le CSU, ou de déléguer le visionnage sur certaines tranches d’heures nocturnes sont aussi des arguments.

CAMBRIOLAGES ET DÉPÔTS SAUVAGES

Le fait de pouvoir optimiser le visionnage des caméras en fonction d’un type de délinquance attire également les communes. Dans la partie rurale du Val-d’Oise, ce sont avant tout les dépôts sauvages, les trafics de pièces détachés de voiture ou les cambriolages qui préoccupent les élus.

Avec l’installation des caméras, les maires espèrent rassurer leur population et remplir des objectifs politiques, bien que l’efficacité de la vidéosurveillance soit régulièrement remis en cause (lire sur AEF info). Le maire de L’Isle-Adam assure voir, à son échelle, les résultats concrets de la pose des caméras. « Depuis 2020, le budget dépôt sauvage de l’intercommunalité est passé de 120 000 à 80 000 euros grâce à la pose de caméras dissuasives », estime-t-il. Selon lui, la résolution des enquêtes pour vols de voitures sur son secteur est également plus élevée.

QUEL RÔLE POUR LES POLICES MUNICIPALES ?

Pour lutter contre les incivilités, le maire de l’Isle Adam s’est doté d’une police municipale de 15 membres, pour un coût de 800 000 euros par an, et il souhaite qu’elle soit parfaitement intégrée au dispositif d’alerte du centre mutualisé. La participation active des polices municipales est en effet l’une des inquiétudes de certains élus qui songent s’engager dans le dispositif. « Nous souhaitons une participation des polices municipales or pour le moment elle n’est pas claire », souligne Sébastien Poniatowski. Il estime ne pas avoir les garanties que les forces de sa police municipale soient alertées par l’opérateur du centre départemental lorsque des faits délictueux se déroulent sur le territoire de sa commune, au même titre que les gendarmes ou les policiers nationaux.

Dans une instruction diffusée le vendredi 4 mars 2022, le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales explicitent la mise en œuvre de l’article 42 de la loi sécurité globale. Sur le volet PM, la convention conclue entre la structure de mutualisation et les services de l’État « doit être élaborée en cohérence avec les conventions de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l’État, qui sont conclues au niveau communal ou intercommunal », soulignent Gérald Darmanin et Jacqueline Gourault. En outre, une seconde convention doit être obligatoirement conclue entre le syndicat mixte et chacune des collectivités partenaires pour définir les modalités de financement.

UN ENGOUEMENT ENCORE TIMIDE À L’ÉCHELLE NATIONALE

À l’échelle nationale, tous les départements n’avancent pas au même rythme. Si l’Oise est le département le plus avancé, le département des Yvelines, un temps freiné par le vide juridique autour des autorisations de visionnage par les opérateurs, a repris ses travaux (lire sur AEF info). Les Bouches-du-Rhône, l’Ain, les Hauts-de-Seine et l’Essonne avancent également leurs réflexions. Mais si les travaux se multiplient depuis le vote de la loi « sécurité globale », l’intérêt des collectivités reste « timide », selon Alexandre Touzet, vice-président du conseil départemental de l’Essonne et président du groupe de travail sur la prévention de la délinquance au sein des Départements de France.

Pour l’instant, dans son département, seules les caméras aux abords des collèges et de certains sites départementaux sont centralisées et les images sont renvoyées vers la police et la gendarmerie nationales. « Notre marge de progression est d’aller vers les casernes de pompiers, les communes mais aussi vers la région pour travailler sur les lycées dans le phénomène des rixes, afin d’avoir un vrai continuum dans la vidéoprotection », indique Alexandre Touzet. Ce dernier attend de nouvelles précisions législatives sur le rôle du conseil départemental dans la coordination des différents acteurs sur le territoire, notamment sur la présidence du syndicat mixte, qui ne peut échoir qu’à un maire, malgré l’investissement assuré par le département.