La France confrontée à de plus en plus d’incendies d’importance

Marseille et Rognac (13) en 2016, Bormes-les-Mimosas (83) en 2017, Gonfaron (83) en 2021, la Teste-de-Buch, Landiras (33), Brasparts (29) ou encore Graveson (13) en 2022. L’ensemble de ces territoires ont dû faire face à des feux qui ont ravagé environ 37 000 hectares.

Avec le réchauffement climatique, les phénomènes de sécheresse et de fortes chaleurs se multiplient. La France risque de fait d’être de plus en plus confrontée aux incendies sur des périodes plus longues et sur l’ensemble du territoire. En 2020, les pompiers sont intervenus sur 282 000 incendies.

Il convient de rappeler que si cet article traite majoritairement du risque incendie, cela représente moins de 10% des interventions des pompiers. Ces derniers sont majoritairement mobilisés sur des missions de secours à la personne.

Pour mieux comprendre le dispositif français, nous nous sommes entretenus avec le Commandant Matthieu Jomain, chef du service Communication et Protocole du SDIS 33.

Image par Saiho de Pixabay

Landiras et la Teste-de-Buch, une situation inédite

La Gironde est un département où la problématique “feu” est particulièrement prégnante du fait des forêts landaises, domestiquées, qui hébergent de nombreuses activités économiques. Si cette présence multiplie les risques incendies, elle permet également une participation supplémentaire dans la lutte contre le feu en fournissant notamment aux pompiers une cartographie des forêts.

Dans le Sud-Ouest, il y a deux saisons de feu identifiées : au printemps lorsque la végétation est gelée et brûlée par le givre, donc propice à s’enflammer comme ce fut le cas en 2017 dans le Médoc où 1 000 hectares sont partis en fumée. La deuxième saison est tout au long de l’été. Cette menace entraine une stratégie basée sur l’anticipation et la prévention. Elle se traduit par une surveillance quotidienne des massifs, des remontées du terrain, un partenariat avec Météo France et un maillage territorial de caserne important. Ces données permettent de déterminer chaque jour un niveau de risque qui entraînera des mesures (gonflements des effectifs dans les casernes, engagements de moyens spécifiques) et aident également à plaider la mise à disposition de moyens aériens. Malgré ces dispositifs et une détection rapide, les feux de juillet 2022 ont surpris les pompiers.

”On a été confronté à une situation totalement inédite, puisqu’on ne s’attendait pas à des feux aussi violents avec des conditions climatiques très problématiques. Un vent extrêmement vicieux qui n’a pas arrêté de changer de sens et une concomitance des deux sites”, Commandant Jomain (MJ)

Au total, ce seront 12 jours de lutte, plus de 20 000 hectares de brûlés et un travail de noyage qui devra perdurer “au moins jusqu’à l’automne”, MJ. Pour faire face à ces incendies, les pompiers de Gironde on pu reposer sur une organisation efficace, qui a notamment permis de mettre en place dès le premier jour un approvisionnement en nourriture et en eau, et une solidarité non seulement des autres SDIS mais également de la population. En effet, voyant la situation se dégrader, le commandement a fait appel à des renforts terrestres et aériens qui sont “arrivés rapidement et en flux constants”, MJ. Ainsi des pompiers du Sud-Est, de la région parisienne, de la Manche ou encore des personnels de la formation militaire de la Sécurité Civile ou du génie militaire sont venus renforcer les effectifs. L’importante médiatisation des événements et la force des réseaux sociaux ont également été à l’origine d’un engouement populaire massif. La population a apporté de la nourriture mais des personnes ont également proposé des douches et/ou de laver le linge des personnels engagés. À certains endroits, les camions ont été ravitaillés en eau par des agriculteurs.

“On a travaillé en interservices mais également en intersociétal”, Commandant Jomain

Cette organisation a permis aux pompiers de non seulement travailler sur les deux feux les plus importants mais également d’assurer une réponse opérationnelle dite “ordinaire” qui s’est traduit par des journées avec plus de 400 opérations de toute nature. De plus, ils ont pu constater une activité forestière importante avec plus de 100 départs de feu, sans lien avec les deux principaux, entre le 12 et le 24 juillet. Au final, aucun mort ni blessé grave n’est à déplorer et les pompiers ont pu répondre à 100% des sollicitations qu’ils ont reçues. Lorsque nous avons interrogé le Commandant Jomain sur les facteurs qui ont permis cette réponse opérationnelle, le premier élément évoqué concerne l’état d’esprit des effectifs.

”Notre principale force réside dans le fait que nous sommes des rustiques, le Sapeur-Pompier c’est le bon gars qui a l’état d’esprit tourné vers l’intérêt collectif. On sait travailler dans des conditions difficiles, en mode dégradé. Gérer une crise on sait faire, c’est dans notre ADN et on se forme pour ça”, Commandant Jomain

La préparation opérationnelle, via le travail d’analyse des risques évoqué précédemment qui légitime les demandes de renforts, et les entrainements sont également des éléments importants. En effet, le SDIS 33 avait effectué quelques mois auparavant un “stress test” simulant deux feux de forêts de grande ampleur et une activité opérationnelle ordinaire importante.

Ce modèle, qui a été efficace face à “l’un des plus gros feux de l’histoire moderne française” (MJ) en est-il pour autant adapté et pérenne dans le temps face aux risques liés au réchauffement climatique ? La certitude est que beaucoup d’enseignements sont à tirer de ces feux.

Les Pompiers, une organisation atypique

Contrairement aux forces étatiques (Police, Gendarmerie, Armée), la gestion administrative et financière des pompiers est locale. Bien que financées majoritairement sur les départements, les entités locales sont des établissements publics disposant d’une autonomie budgétaire et dirigées par un conseil d’administration. L’emploi, la partie opérationnelle, est lié à l’État et notamment par le préfet. Ils disposent donc d’une double casquette qui a ses avantages et ses inconvénients.

On compte aujourd’hui 42 000 pompiers professionnels, 190 000 pompiers volontaires et 13 000 pompiers militaires. Ils sont répartis dans les différents Services Départementaux d’Incendie et de Secours (SDIS) classés de A à C selon la population couverte. Les dotations matérielles dépendent de chaque SDIS, exceptés les moyens aériens qui sont nationaux. Comme indiqué précédemment, les feux ne couvrent que 10% de leurs interventions. 80% d’entre elles sont liées au secours à la personne.

Leur champ d’intervention est extrêmement varié, allant du secours à la personne à la gestion des risques naturels en passant par des incendies, des interventions sur des risques industriels, nucléaires, bactériologiques, chimiques, etc. En plus de la multiplicité des domaines, ces derniers se spécialisent de plus en plus. À titre d’exemple, les techniques incendies sont de plus en plus spécialisées avec les phénomènes de brûlage, l’emploi des lances, etc. Il en va de même pour le secours routier, la multiplication des véhicules (thermiques, électriques, hydrogène) doit être prise en compte par les effectifs. Les pompiers font face d’une part à une sur sollicitation et une diversification de leurs missions, ce qui entraîne de fait des connaissances spécifiques à obtenir, et d’autre part à une baisse des effectifs (notamment des pompiers volontaires).

Le système français, notamment en temps de crise, repose sur la solidarité entre les SDIS. L’été, les colonnes du Nord viennent renforcer les effectifs du Sud et la France peut s’appuyer sur une des flottes aérienne les plus importantes d’Europe avec 21 avions (12 canadairs, 6 Dash et 3 avions de reconnaissance). Cependant, ces appareils sont vieillissants et nécessitent une maintenance régulière pour assurer la sécurité des pilotes. 8 des 12 canadairs ont plus de 25 ans en 2020.

Les récents événements et les perspectives climatiques doivent nous interroger sur les évolutions de notre modèle de sécurité civile et de réponse aux incendies.

Les Pompiers de demain face aux événements climatiques

Témoignage de l’évolution climatique et de la surmobilisation des pompiers, en 2021 le SDIS 33 a dû gérer 145 000 opérations. Ce nombre était la perspective inscrite dans le Schéma Départemental d’Analyse et de Couverture des Risques (SDACR) pour l’année 2025. Pour 2022, l’estimation est portée à 148 000. Ces interventions, variées, nécessitent de plus en plus de connaissances par les services. Est-ce qu’un personnel est en mesure d’être spécialiste dans l’ensemble de ces domaines ? D’autant plus s’il s’agit d’un pompier volontaire qui a une vie professionnelle en plus de son engagement ?

D’après Météo France, 20% des massifs forestiers métropolitains étaient concernés par des conditions propices à des départs de feu entre 1960 et 1980, ce nombre passe à 40% dans les années 2010 et 60% pourraient être concernés d’ici 2050. Face à ces augmentations, il est nécessaire de s’interroger sur la réponse opérationnelle.

“La sécurité des personnes n’a pas de prix, mais elle a un coût”, Didier Migaud, Premier Président de la Cour des Comptes (2010-2020)

Nous touchons là à une problématique du financement des pompiers par les conseils départementaux, ces derniers ne sont pas forcément en mesure d’assumer financièrement l’évolution des missions des pompiers. Si, au niveau terrestre, le mécanisme de solidarité entre les SDIS, mais également au niveau européen grâce au Mécanisme Européen de Sécurité Civile (testé lors de l’exercice Domino, dont nous avons parlé ici), permet de renforcer les effectifs en cas de crise, on peut s’interroger sur la pérennité de ce système face au réchauffement climatique. En effet, les risques de catastrophes naturelles sont multipliés et le réchauffement climatique va exposer de nouvelles zones au risque incendie. En témoigne les incendies du Finistère en 2022. Si les phénomènes sont amenés à se multiplier, le système actuel de colonnes pourrait-il être mis à mal par un manque de personnel ? De plus, les pompiers, comme la plupart des associations de sécurité civile, font aujourd’hui face à une baisse de l’engagement et donc d’effectif.

Concernant les moyens aériens, la situation est différente. Ces derniers sont nationalisés et une flotte européenne de Sécurité Civile est en cours de déploiement. Aujourd’hui, le dispositif RescUE est un mécanisme européen de solidarité et d’assistance aux États dans la gestion des crises majeures. C’est grâce à ce mécanisme que la France a pu bénéficier du soutien de deux appareils Grecs lors des incendies de Gironde. Il fonctionne actuellement grâce à une mise à disposition d’appareils par les États membres. En 2022, la Croatie, la France, la Grèce, l’Italie, l’Espagne et la Suède ont ainsi constitué une réserve de 12 avions et un hélicoptère pouvant être mis à la disposition d’autres États membres. Grâce à une commande groupée, l’Europe est en voie de devenir propriétaire de 12 canadairs qui seront intégrés au dispositif. La réponse européenne est pertinente pour partager les coûts, il se posera en revanche la question de l’opérationnalité des avions. Il faudra certainement répartir les aéronefs différemment sur le territoire.

La multiplication des événements climatiques oblige une réflexion et une réorganisation de la doctrine opérationnelle. À titre d’exemple, dans les Bouches-du-Rhône (13), on compte depuis début 2022 641 départs de feu, dont 230 au mois de juin. En Gironde, les tempêtes de grêle du mois de juin ont entrainé plus de 3 000 interventions en une semaine. L’évolution climatique ne va pas attendre la réponse opérationnelle, si les missions de sécurité civile sont assurées (seulement 2% des feux provoquent 90% des surfaces brûlées), le dispositif actuel sera-t-il en mesure de continuer dans le temps et sur l’ensemble du territoire ?

“Le bateau ne coule pas, il avance”, Commandant Jomain

Ces réflexions ne sont pas nouvelles, et les pompiers sont en action. Ils bénéficient de formations qui s’adaptent aux évolutions des interventions, le matériel évolue avec des camions de plus en plus performants. Cependant la résilience est l’affaire de tous, cela implique un travail collectif et quotidien (débroussaillage, respect des textes, travail en collaboration avec les services sur les questions d’urbanisme, etc.). La majorité des feux sont d’origine humaine, la formation et la prévention sont des éléments indispensables pour les limiter et les enjeux de sécurité civile concernent tout le monde. La culture du risque doit être dispensée dès le plus jeune âge et tout au long de la vie. C’est dans cet objectif que le gouvernement a lancé la Journée de la Résilience le 13 octobre, qui a fait l’objet d’un article sur notre site.

Les “soldats du feu” sont aujourd’hui un rempart efficace contre les risques et les crises qu’ils rencontrent. Cependant, ces femmes et hommes font face à une multiplication de ces derniers et il est nécessaire d’avoir une réflexion profonde sur le système opérationnel français et européen pour assurer une pérennité et une continuité dans la réponse. D’autant plus que ces personnels sont amenés à être de plus en plus des “soldats du climat”, d’après Éric Brocardi, porte-parole de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, et donc à devoir faire face à de nouvelles crises.

“La résilience concerne tout le monde”, Commandant Jomain

Clément KAROUBI, HCFRN