Le décret d’application de la loi Matras

Le 20 juin est paru le décret d’application de la loi “visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels”, dite loi Matras, du 25 novembre 2021. Ce décret s’attarde sur l’évolution du Plan Communal de Sauvegarde (PCS) et du Plan Intercommunal de Sauvegarde (PICS) et précise deux évolutions majeures : un élargissement du champ des communes pour lesquelles le PCS est obligatoire et le développement du PICS.

Image par sethink de Pixabay

Désormais les communes soumises à un risque sismique, d’inondation, volcanique, cyclonique ou ayant des forêts avec un risque incendie important sont obligées de faire un PCS. De leur côté, les Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) ayant sur leur territoire au moins une commune avec un PCS obligatoire doivent eux réaliser un PICS.

Au total, ce sont à présent 10 800 communes qui doivent réaliser un PCS, 8 200 d’entre elles suite à la loi Matras. Le reste des communes étant celles déjà soumises à obligation. Concernant les PICS, 1 125 EPCI sont concernés.

Quel est le contenu d’un PICS ?

  • Mise en commun de l’analyse des risques et inventaire des risques pouvant avoir lieu sur le territoire intercommunal
  • Appui aux communes pendant les crises avec une mise à disposition de moyens
  • Inventaire des moyens de chaque commune, de l’intercommunalité et des tiers
  • Recensement des ressources et outils de l’intercommunalité dédiés à la prévention des risques, la gestion des crises l’information préventive, l’alerte et l’information d’urgence de la population
  • Modalités de mise en œuvre de la réserve intercommunale de sécurité civile
  • Organisation et planification de la continuité d’activité et du rétablissement des équipements et missions relevant de l’intercommunalité en cas de crise

En clair, il organise la coordination et la solidarité intercommunale en cas de crise.

Pour l’intercommunalité, cela se traduit par un rôle de soutien dans la planification, via l’analyse des risques et le recensement des moyens, mais également lors de la crise en apportant des financements et en organisant, avec les communes, une réponse coordonnée. L’intercommunalité ne peut être impliquée directement via son président car le directeur des opérations doit être investi des pouvoirs de police et reste donc le maire.

Nice et la Métropole Nice Côte d’Azur, précurseurs dans la gestion intercommunale de crise

En juillet 2020 est apparue l’Agence de Sécurité Sanitaire, Environnementale et de Gestion des Risques portée conjointement par la Métropole Nice Côte d’Azur et la mairie de Nice. Sa création, en avance sur la loi, en fait une structure à l’heure actuelle unique en France. À ce titre, nous avons pu rencontrer Madame Véronique BORRE, directrice de l’agence, et Monsieur Romain GITENET, directeur opérationnel, pour comprendre le fonctionnement et les missions de cette agence ainsi que ses possibles évolutions.

Sa mission est de coordonner, conseiller et apporter une expertise en cas de crise. Dans cet objectif, cette mission se divise en deux aspects : une cellule prospective, travaillant sur des sujets de fonds, et une cellule opérationnelle pour répondre aux crises.

De fait, l’Agence a été présente auprès des élus et des populations lors de la Tempête Alex, qui a eu lieu fin septembre 2020, en fournissant un appui matériel et financier.

“On a été en assistance de la Vésubie en déployant des hélicoptères, en ouvrant des routes. En quatre jours, on avait ouvert des routes et rouvert l’accès à des zones enclavées […]. On a ouvert des épiceries et des supermarchés gratuits dans tous les villages affectés, Romain GITENET

La crise COVID fut également le moment pour l’Agence d’assister la population en organisant à l’avance la vaccination via une plateforme téléphonique et un suivi des possibilités d’injection en fonction des décisions gouvernementales et de l’âge des patients. Cette anticipation a permis à l’ensemble des territoires de la métropole d’avoir accès à la vaccination le plus rapidement possible et dans le même temps.

L’Agence vient également suppléer les communes n’ayant pas les moyens d’assurer une prévention des risques. En investissant et en installant un certain nombre de capteurs et de moyens de surveillance elle est en mesure de surveiller, d’anticiper et de prévenir en temps voulu les communes pouvant être impactées par un dégradation de la situation, jouant, de manière officieuse, le rôle de poste de commandement intercommunal.

De l’autre côté, le département prospective au sein de l’Agence travaille sur différentes thématiques, décidées en fonction des risques auxquelles le territoire est confrontée. “On est actuellement en train de travailler sur les tsunamis, sur les séismes, on parle aussi d’augmentation du niveau de la mer” (RG). Après avoir recensé les risques, ils peuvent faire appel à des experts pour renforcer l’analyse et préparer des plans d’actions.

Comment s’organise cette Agence ?

Parce qu’elle agit sur des sujets transversaux et impactant de nombreux services, l’Agence est rattachée à la Direction Générale des Services métropolitaine. Si elle intervient dans les crises, elle ne vient pas remplacer le rôle des services communaux, les pouvoirs de police appartenant aux maires. La doctrine d’emploi est de venir en assistance, en soutien des communes impactées par une crise, en mobilisant un ensemble de ressources au nom de la solidarité intercommunale. Pour pouvoir mobiliser ses ressources matérielles et humaines, l’Agence fonctionne comme une “direction générale adjointe transversale horizontale qui couvre la totalité des directionsindique Véronique BORRE. En effet, l’Agence repose sur les agents métropolitains, municipaux mais également des vacataires, des contractuels, des bénévoles et des collaborateurs occasionnels du service public. Au total, c’est un vivier de 15 000 agents aux compétences, expériences et expertises différentes que l’agence peut mobiliser en fonction des crises. À terme, l’objectif est que les agents disposent d’un crédit temps qu’ils pourront mettre à disposition de l’Agence pour s’investir sur de la gestion de crise mais également pour travailler en amont sur des questions environnementales, des propositions d’avancées ou de sensibilisation des populations.

“On s’appuie sur l’ensemble des agents, c’est ce qui fait notre force !”, Véronique BORRE

L’Agence est pensée et organisée comme un outil à la disposition des communes. Outil qui va pouvoir les accompagner et mobiliser des ressources plus importantes pour retrouver le plus rapidement possible un retour à la normale. L’exemple le plus marquant étant sans doute lors de la gestion post-crise de la Tempête Alex, où les communes appartenant à une autre intercommunalité sont restées enclavées beaucoup plus longtemps que celles de la métropole.

“Dès qu’il y a une crise on ne pose pas la question, on agit”, Romain GITENET

L’Agence ne s’est pas construite en un jour

Souplesse, transversalité, volonté politique, légitimité, ouverture d’esprit, management des risques. Autant de facteurs clés de succès qui prennent leur sens car, dans sa forme actuelle, l’Agence est “un aboutissement de tout ce qu’on a pu mettre en place depuis maintenant pratiquement 15 ans” (VB).

En effet, avant ce format métropolitain, la Ville de Nice comptait déjà parmi ses services la Prévention des Risques Urbains qui traitait de tous les sujets pouvant être liés à la gestion des risques, l’anticipation des crises, la rédaction des processus, etc. L’Agence trouve son origine en 2014 quand Christian ESTROSI, maire de Nice, a souhaité que la direction puisse “être un conseil, un guide, un accompagnement pour toutes les petites communes qui peuvent avoir des difficultés”. À partir de cette date, la ville de Nice a mis à disposition du matériel, un accompagnement dans la rédaction de PCS et/ou DICRIM pour les communes de la métropole qui le souhaitaient. Un poste de commandement mobile a été acquis pour être mis à la disposition des maires autant que de besoin. Dès le départ, les mots clés pour faire face à la multiplicité des crises ont été “agilité, réactivité et résilience (VB).

C’est dans un objectif de réponse aux crises, tout en respectant les préceptes établis, que l’Agence a su, en usant de pédagogie et de sensibilisation auprès des agents, se positionner comme un acteur incontournable dans la gestion de crise. Cette sensibilisation est une étape indispensable pour instaurer un état d’esprit auprès de l’ensemble des agents qui permet aux directeurs de service de comprendre que certains de leurs personnels sont mobilisés en temps de crise et aux agents d’avoir cette solidarité en tête. Cette acceptation favorise la mobilisation et la mise en place de nouveaux modes de fonctionnement où par exemple “des catégories C dirigent des catégories A sur de la gestion de crise, et ça ne pose aucune difficulté” (VB), peu commun dans la fonction publique. Au-delà de cette organisation, l’Agence a obtenu une légitimité auprès des communes car elles ont « traversé les crises ensemble” (RG). Ce baptême du feu a accéléré la reconnaissance rapide de l’agence et une acceptation de l’ensemble des communes.

Quel futur pour l’Agence ?

Pour conserver son efficacité, l’Agence souhaite pérenniser et institutionnaliser son mode de fonctionnement reposant sur son vivier de ressources humaines et de compétences. Au fur et à mesure, l’objectif est aussi de récupérer un certain nombre de sujets et de suivi de risques, sans se précipiter pour ne pas bouleverser l’écosystème. Elle va bien sûr être affectée par la loi Matras et la rédaction d’un PICS, mais il y a également la volonté de créer une réserve de sauvegarde métropolitaine.

D’un point de vue organisationnel, le territoire niçois est, depuis quelques années, éprouvé par des crises, plus ou moins directes, ce qui implique que l’Agence est plus focalisée sur la réponse aux crises. La recherche d’un meilleur équilibre entre crise et prospective est objectif.

Le modèle niçois, exportable ?

Dans un contexte où les crises, quelles que soient leur origine, se multiplient et où le cadre légal évolue, les maires et les intercommunalités doivent s’interroger sur la prévention et l’organisation de la réponse face à ces crises. Une copie conforme du modèle niçois ne serait pas adaptée, chaque réponse devant prendre en compte les particularités de son territoire. En revanche, il est particulièrement intéressant de s’inspirer des préceptes, leviers et bonnes pratiques qui ont permis la création et le bon fonctionnement de l’Agence.

Une volonté et une impulsion politique sont indispensables, mais elles ne doivent pas être pressées par le temps. Une analyse du territoire, de ses forces et de ses faiblesses, en incluant l’ensemble des acteurs (communes, services de l’État, entreprises, citoyens) va permettre de dessiner les contours de l’action que devra porter l’organisme intercommunal. Cette analyse et cette construction doivent être accompagnées d’une campagne de pédagogie et de sensibilisation pour que les acteurs en comprennent le principe et le fonctionnement. L’idée de reposer sur les agents des collectivités, mobilisables selon leurs compétences et les besoins, est intéressante car elle n’implique pas un recrutement important de collaborateurs. Enfin, il faut faire preuve de modestie, ne pas avoir la volonté de faire à la place des communes mais avec elles, l’organisation doit rester un outil à leur disposition dans une logique de co-construction.

Clément KAROUBI