Des villes soumises à de plus en plus d’évolutions

Les évolutions technologiques, sociétales, organisationnelles ainsi que le changement climatique entraînent un certain nombre de modifications dans le mode de vie des populations. Ces changements ont des répercussions sur l’organisation du travail, de l’habitat ou encore dans les déplacements. Ces éléments interrogent sur l’évolution des modèles des villes de demain et, de manière plus large, alimentent le débat autour de la « smart city ».

Cet article s’appuie sur l’ouvrage « Smart City, ville intelligente : quels modèles pour demain ? » de Jean Haëntjens, économiste et urbaniste français qui a publié de nombreux ouvrages sur le développement urbain et la ville durable.

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La smart-city, une ville numérique ?

Il convient dans un premier temps de définir la notion de « smart-city », souvent utilisée dans les débats mais rarement définie. La ville intelligente est facilement limitée à la technologie et à la technique. C’est dans cette vision que certains décideurs publics ont agi en pensant que la multitude d’options rendrait la ville attractive sans se préoccuper des besoins et envies des populations. Il en résultera par exemple la création d’immeubles sans possibilité d’ouverture des fenêtres pour ne pas dérégler la climatisation généralisée. Leur attractivité sera très limitée. À partir de 2010, ce sont les GAFAM1 et le secteur du numérique qui ont repris le flambeau en s’adressant directement aux citoyens via des applications (Uber, AirBnb, Blablacar, Waze, etc.). S’ils n’agissent pas directement sur la ville, ils participent au concept de smart-city en modifiant les habitudes et les comportements des citoyens.

Si le développement de ces services a permis d’améliorer la qualité de vie au sein des villes, il a également engrangé des limites liées au manque de régulation et d’organisation. En effet, si la mobilité douce a pu être développée grâce aux vélos et trottinettes en libre-service, ces derniers n’ont pas été ordonné et ont entraîné une accumulation de solution dans un espace pas ou peu organisé pour les accueillir (trottinettes sur les trottoirs). Le développement du e-commerce a augmenté les flux de transports dans les villes. Économiquement, si certains services ont permis de réformer des marchés (Uber avec les taxis par exemple), ils mettent aussi en péril, par une concurrence inégale, certains secteurs (hôtellerie et AirBnb, restauration et UberEats, commerce de proximité et Amazon, etc.). De plus, les personnes travaillant pour ces sociétés ont souvent des contrats précaires. D’un point de vue écologique, la surutilisation du numérique nécessite des serveurs à l’impact écologique très important. Enfin, si l’accès à l’information est facilité, elle est orientée par les algorithmes, ce qui rend plus compliqué d’accéder à des informations ne mettant pas en perspective l’avis de l’utilisateur.

Une vision globale de la smart-city

Ces éléments ne donnent pas une vision très positive de la smart-city car ils correspondent à une vision en silo. Pour être effective, l’approche de la ville intelligente se doit d’être globale. À ce titre, l’auteur définit la ville intelligente comme un « moyen de développement, d’émancipation par rapport à son temps »2. L’intelligence est de fait multiple, et on peut considérer l’apparition de “smart cities” avant le développement des nouvelles technologies du numérique. Jean Haëntjens recense 8 types d’intelligence permettant à une ville de se développer :

  • Technique, comme Rome et ses aqueducs
  • Urbanistique, via l’organisation de la cité et le rapport avec les éléments naturels
  • Économique, ou la capacité à inventer de nouveaux modèles économiques adaptés aux atouts de la commune et à l’environnement
  • Écologique, soit un développement en respectant l’environnement (notamment en gérant les pollutions)
  • Sociale, ou la capacité de la population à vivre ensemble dans le respect des règles civiques
  • Culturelle, qui relève de deux facteurs : la diversité et la capacité créatrice de la ville, mais également le développement et l’attachement des citoyens à une histoire et une culture propre à la ville
  • Politique et managériale, ou la capacité des administrations et des élus à être pérennes dans le temps, honnêtes et aptes à prendre des décisions efficaces et adaptées à la commune
  • Stratégique, la capacité d’anticiper les évolutions et de proposer une vision globale en accord avec ces évolutions

Comme indiqué précédemment, les villes sont confrontées à de plus en plus de défis. De plus, elles évoluent dans un monde en constante évolution, qui offre plus de solutions mais dans lequel les populations se mélangent en termes d’âge, d’origine et de métiers. Elles doivent donc faire face à plus de défis, plus d’acteurs et plus de solutions. Il leur revient de faire des choix de développement adaptés à leur situation.

Quel modèle pour « la ville de demain” ?

Il existe une opposition entre deux grands modèles pour la ville de demain : la ville numérique contre la ville politique. La ville numérique pourrait se traduire comme une city as a service qui veut satisfaire en temps réel les demandes des citoyens, favorisant l’uniformisation internationale avec un espace public contrôlé exclusivement par le secteur privé. Ce système se base sur l’utilisation des données privées, traitées par un algorithme qui va coller au plus proche des intérêts individuels. À l’inverse, la cité politique représente le modèle traditionnel de la ville dans laquelle l’administration est à la recherche de l’intérêt général, avec une vision à plus ou moins long terme, et un espace public vu comme un bien commun.

L’équilibre se retrouverait dans la “cité politique intelligente”, dans laquelle le politique est assez objectif et connaisseur pour identifier et mettre au service de la population les outils nécessaires à l’accomplissement de sa politique (comme ce fut le cas pour les Vélo’v à Lyon). En menant cette réflexion, il pourra être en mesure d’avoir une approche transversale pour prendre les effets positifs des innovations tout en limitant leurs effets négatifs. Il pourra surtout choisir quelles sont les innovations les plus adaptées à sa stratégie. Cette réflexion doit prendre en compte les 8 types d’intelligence évoqués précédemment pour comprendre les besoins et les envies des citoyens, développer un modèle propre et adapté à la culture, à l’environnement aux besoins de la cité. Ce n’est que comme ça qu’il peut obtenir l’accord des citoyens, qui doivent être consultés. Dans ces systèmes, les outils numériques sont, comme leur nom l’indique, des outils, contrôlés et ordonnés, mais ne sont pas des fins en soi. Ils servent également de révélateurs des forces et faiblesses de la démocratie et des particularités locales.

Il n’existe pas de modèle clé en main de smart-city, ce sont des outils qui doivent être utilisés en bonne intelligence et abordées de manière transversale et globale.

1 GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

2 Jean Haëntjens

Pour aller plus loin

« Smart city, ville intelligente : quels modèles pour demain ?”, Jean Haëntjens

Clément KAROUBI